Un manga, bande dessinée japonaise, pour découvrir le vin, ses secrets et sa complexité au travers de descriptions méticuleuses, voire mystiques? Un mariage harmonieux où la lecture du vin se fait émotion. Les Gouttes de Dieu, série manga sur le thème du vin, est la référence bien au-delà du Pays du Soleil levant.
Un témoignage de Romain Hofer, conseiller en communication
J’aime partager un bon flacon de vin avec mes amis, j’adore aussi passer des moments à lire des bandes dessinées. Mais dévorer une série manga – qui se lit à l’envers, entendez de la dernière page à la première et de droite à gauche –, y découvrir des vins, un nombre impressionnant d’anecdotes, de conseils et des descriptions de dégustations qui vous font plonger dans un monde d’émotions, je n’y aurais jamais pensé. Un mariage pourtant divin avec Les Gouttes de Dieu.
L’histoire se déroule sur les cinq continents mais principalement au Japon. Yutaka Kanzaki, œnologue réputé et respecté mondialement, possède l’une des plus prestigieuses collections de vin d’Asie, évaluée à plus de 12 millions d’euros. A sa mort, son testament surprend: son extraordinaire cave reviendra à celui de ses deux fils, Shizuku Kanzaki, qui n’a aucun goût pour le vin mais se révélera être plus qu’à la hauteur, et Issei Tomine, célèbre expert et jeune œnologue surdoué, qui résoudra douze énigmes dévoilant douze apôtres, soit douze grands crus. Il découvrira alors un treizième et mystérieux vin, inconnu de tous, surnommé les Gouttes de Dieu. Chaque énigme est une description détaillée, poétique, et même mystique, qui mène nos héros dans une quête qui va bouleverser la vie des deux frères que tout oppose. Tout au long de ce duel, le lecteur découvre l’univers du vin, son langage, ses particularités, ses traditions et, bien entendu, quelques-uns des crus les plus prestigieux: romanée-conti, château mouton rothschild, château lafite rothschild, château la tour haut-brion, château lynch-bages, mais aussi nombre de crus plus abordables.
Les descriptions sont riches et minutieuses, les dessins des bouteilles et étiquettes presque réels, les conseils d’alliances mets-vins pertinents. Et, lors des dégustations, les mots, les images et autres références prennent leur envol vers un monde majestueux. Dans la description du deuxième apôtre, l’auteur met en parallèle deux millésimes de château palmer et la théorie selon laquelle Da Vinci aurait peint deux tableaux représentant une Mona Lisa, l’une pleine de cœur et d’affection (château palmer 1999) et l’autre débordante de jeunesse et de puissance (millésime 2000). Exprimer une telle énigme au travers du vin en devient une prouesse.
Gilles Wannaz, du domaine éponyme, producteur en biodynamie depuis bientôt dix ans et amateur de BD, reconnaît dans Les Gouttes de Dieu une richesse du vocabulaire œnologique et une émotion qui trop souvent font défaut dans le langage des professionnels. «L’approche hédonique, la lecture émotionnelle du vin et sa nouvelle interprétation» l’ont frappé, et d’ajouter que «le consommateur a trop souvent un complexe pour parler du vin. Les professionnels en sont en partie responsables par leur lecture intellectuelle et technique. La perception d’un vin est personnelle, intuitive, chacun ayant son vécu et ses expériences de la vie pour s’exprimer, remonter dans la mémoire d’un moment.» Après une lecture trop souvent technique, place, dans cette série, à une lecture émotionnelle. L’expression du vin «passe par une nouvelle interprétation, une nouvelle forme de communication non verbale, avec son énergie et ses vibrations. Parfois les mots ne suffisent pas, et le dessin, forme de réalité augmentée et richesse infinie accessible à tous, permet de visiter son intérieur. «Raconter, faire vibrer quelque chose en vous, procure des émotions, c’est un peu le principe des Gouttes de Dieu», conclu Gilles Wannaz.
La série n’est pas près de s’arrêter, puisque le 30e mars 2014) ne dévoilera que le dixième apôtre: grands-échezeaux 2002, du domaine Robert Sirugue Bourgogne, côte de Nuits. Le duel opposant les deux frères garde son suspense, Shizuku et Tomine sont ex æquo avec chacun cinq apôtres découverts
Le scénario est de Tadashi Agi, un pseudonyme sous lequel travaillent un frère et une sœur, Yuko et Shin Kibayash. Le dessin, riche et renseigné, est de Shu Okimoto qui, fort de son talent graphique, invite le public non habitué au manga à aborder cette série sans a priori culturel.
Les vins suisses ont-ils leur place dans un tel univers manga à succès planétaire? Oui, en général. Toutefois, Nicolas Joss, directeur de l’OVV, relève: «Nous serions bien incapables de répondre à la demande, la production étant trop faible. Nous ciblons plus volontiers le haut de gamme, au travers par exemple de clubs exclusifs et privés à la recherche de produits uniques.» Même s’il reconnaît que le placement de produits dans Les Gouttes de Dieu «contribue à construire l’image du vin auprès des jeunes adultes». Et pourtant nos héros font un passage en Valais pour y gravir le Cervin, et y découvrir le fendant et l’apprécier! Son mariage avec la cuisine japonaise se révèle être divin. Figurez-vous que cette mention dans le 17e fruit du hasard et une belle surprise», nous assure Adeline Rouiller, chef de projet marketing chez Provins.
Quant au succès de la série, Philippe Duvanel, directeur du festival BD-FIL, relève que la «série aurait pu exister en France» et, même s’il a un doute sur la dramaturgie et craint de «s’ennuyer à la longue, la série reste ludique et forte», et de noter «la qualité des recherches des auteurs, l’exactitude, la reconstitution fidèle des lieux, des bouteilles et étiquettes». Il avoue d’ailleurs avoir «souvent mis en avant cette série et l’offrir volontiers à des amis».
On l’a dit, Les Gouttes de Dieu sont un énorme succès en Asie. En Suisse, la série se vend à quelque 300 exemplaires par tome, «et les ventes augmentent à chaque tome, un succès d’estime», nous confie Edith Malzahm, des Editions Glénat pour la Suisse, qui viennent hélas de fermer. L’univers manga reste encore trop souvent et par erreur associé aux seuls ados.
Je n’ai pas honte d’avoir abordé mon initiation au monde de l’œnologie à la lecture de cette série et garde volontiers mon âme d’enfant, amateur de vins, oui, et un peu de manga. Et, si le manga vous effraie, je vous encourage à découvrir Les ignorants. Une BD cette fois-ci. Un ouvrage magnifique, fruit d’une collaboration remarquée et remarquable entre Richard Leroy, le vigneron de la Loire, et Etienne Davodeau, le dessinateur et scénariste. «Une initiation croisée», comme le dit son sous-titre, une aventure humaine, drôle et touchante.
Les Gouttes de Dieu, Ed. Glénat, coll. Seinen
Les ignorants, Etienne Davodeau, Ed. Futuropolis
(Article paru la première fois dans Le Guillon, la revue du vin Vaudois, no 44 – 01/2014)